Ceux qui ont été séduits naguère par l’inventivité narrative de la série des Parpot seront sans doute surpris par la teneur plutôt classique du dernier roman d’Alain Monnier. Respectant la chronologie des événements. Il est composé de quatre parties, elles-mêmes divisées en chapitres narratifs, couvrant plus de deux décennies. D’un départ à l’autre pour certains, et pour d’autres à une intégration plutôt réussie.
Il s’agit en fait de la vie d’immigrés confrontés, malgré eux, à la grande Histoire. D’autres terres que les nôtres, se déroule, au début en Italie, dans les années 20, mais pour l’essentiel, dans des terres du Sud-ouest dont ce toulousain se sent proche. On aura compris que son dernier ouvrage traite des difficultés rencontrées par les immigrés italiens au début du siècle dernier, il y a plus de cent ans à présent. Avec en contrepoint, les crimes du fascisme italien, l’adhésion de certains, l’opposition des autres, l’indifférence des troisièmes, souvent rattrapés par le réel. Le roman alterne les épisodes concernant cette famille de paysans qui choisit les rigueurs du Gers à la misère de la Vénétie et l’adhésion au fascisme d’un jeune noble demeuré en Italie. On voit les premiers s’installer en France, après un interminable voyage en train. Chaque membre a son histoire, son caractère, ses doutes et contradictions. On s’attache à la jeune veuve qui hésite à franchir le pas, à son jeune fils qui tombe amoureux d’une jeune communiste, à l’oncle avisé et pragmatique, à l’ami Tommaso qui se révèle providentiel et toujours de bon conseil.
Parallèlement, le roman nous ramène en Italie, près de l’aristocrate qui a fait le mauvais choix. Le roman met l’accent sur les souffrances, les inquiétudes, les appréhensions de ces êtres déboussolés, livrés à eux-mêmes, sachant qu’il n’est guère aisé de renoncer à une culture, à des traditions, à des réflexes ancestraux et d’épouser les idées nouvelles. La guerre de 39 n’arrange pas les choses, qui voit les préjugés ressurgir, les tensions s’exacerber, les bêtes immondes (re)faire surface.
Alain Monnier raconte toujours avec nuance. La multiplicité des personnages favorise la diversité des points de vue. En fait, il rappelle, de manière discrète voire implicite, ce que d’aucuns aujourd’hui auraient tendance à oublier (ou ignorer) : que les exclusions, la haine et la violence conduisent un peuple à sa ruine, et les individus à une fin ignoble, que rien n’est plus beau qu’une intégration réussie, que le mariage de la carpe et du lapin quand le sentiment d’amour est sincère, que l’engagement pour une cause coûte cher : le prix d’une vie. Qu’une famille unie, ce qui n’empêche pas les divergences, est un atout fondamental de succès collectif.
Bref, sans tomber dans l’optimisme béat, ce roman bien ficelé nous donne des leçons de vie, nous remémore des moments sinistres de notre Histoire récente, tout en nous ouvrant au monde des paysans, venus d’autres terres que les nôtres.
BTN
Alain Monnier, D’autres terres que les nôtres, roman, Ed Privat.
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