Les musées ne se contentent pas d’offrir en permanence au public les fleurons de leurs collections. Ils vont plus loin que les simples expos temporaires. Il leur arrive, selon l’opportunité, de conjuguer les deux options en demandant à des artistes soit de mettre en exergue certaines œuvres avec lesquelles les leurs fonctionnent, en vis-à-vis (C’est le cas de Dominique de Beir), soit d’en effectuer une relecture personnalisée (c’est le cas de Pierre Buraglio, familier du musée et de notre région en général). Sept salles à l’étage, et l’atrium, leur sont ainsi réservées.
Dominique de Beir a particulièrement soigné son entrée en matière du rez-de-chaussée où ses impacts dorés au clou d’or, répétés, forment un écho avec l’immense Montagne en bronze de sa consœur Germaine Richier. En levant les yeux, on perçoit une œuvre céleste qui contraste par sa légèreté perforée avec celle de la sculptrice et entre en relation avec le système répétitif conçu par Parmentier, un tableau tout en finesse de Judith Reigl ou un grand Simon Hantaï doré. Les quatre salles dévolues à l’artiste permettent de se familiariser avec les accidents et les décisions (Accroc et Caractère) qui rythment son parcours et la rapprochent d‘Eve Gramatski dans l’expression d’une « paysagéité« abstraite, de Pierrette Bloch, dans un rapport approfondi à l’écriture, de Daniel Dezeuze dans son souci d’alléger ou émonder le support (en l’occurrence la tarlatane) ou de Bernard Pagès dans l’usage combiné de matériaux pauvres. Le triptyque Zone verte recourt ainsi au polystyrène dont elle obtient des effets subtils qui ne manquent pas de séduction. Ailleurs, c’est le carton qui se fait Planche dentelle grâce à la magie de l’encre et toujours de ces impacts, marque de fabrique de l’artiste. Celle-ci fait de la destruction apparente un acte de création effectif, tout en ôtant de la matière au support comme s’il s’agissait de le rendre moins opaque. Tout comme le réel et sa supposée vérité. De surcroît, il lui arrive de recourir au papier braille ou à la feuille de comptabilité et même à un carnet de timbres. Pourtant, la sensualité affleure ainsi que le prouvent ses deux papiers veloutés, toujours impactés. Parmi les autres réussites : Le dialogue avec Le petit Paresseux de Greuze, dont l’artiste imagine un prolongement onirique; son immense composition au rouge sur papier avec traces, écriture et taches toute en subtilité ; une modeste combinaison de gouache et de cire toute en perforations d’une grande délicatesse qui n’exclut pas la détermination plus ou moins militante.
Pierre Buraglio, qui fut son professeur aux beaux-arts de Paris, son aîné d’une génération, a choisi de s’inspirer de quelques incontournables du Musée. Et d’abord Simon Hantaï, à qui il emprunte une toile jadis étendue sur le sol de l’atelier, qu’il rythme de traits de tôle émaillée soulignant l’apparition révélée du châssis. Ou encore Frédéric Bazille, auquel l’engagement inattendu coûta la vie, Buraglio s’étant avéré sensible au thème de la guerre, qu’il traite en l’occurrence, avec son drapeau tricolore, non sans tendre ironie. Les femmes-martyrs de la Tour d’Aigues-Mortes lui inspirent des variations autour du verbe Résister, l’une des constances, si l’on peut dire, de sa démarche et de son œuvre. Une peinture de Natalia Gontcharova inspire un montage de petits tableaux qui définissent un format somme toute inédit. Son amitié avec Soulages l’amène à conjuguer la répétition des vagues du mot Mer avec les vers illustres du poète, Baudelaire : Homme libre toujours tu chériras la mer…
Le recours à la figure ne pose pas de problème à cet artiste qui a commencé en détournant des objets du quotidien et leur a attribué une fonction picturale puis en se préoccupant du cadre qui délimite le contour d’un tableau. Il est ainsi passé à la fenêtre, on en voit une en cours de visite, puis au paysage dont certains assez imposants et qui frisent l’abstraction atmosphérique. La mer est présente aussi dans le montage aux crayons sur carton et tissus de camouflage honorant Courbet à Palavas, où l’artiste recourt à sa silhouette en lieu et place du prénommé Gustave. Buraglio livre toujours une vision personnalisée de ses modèles. Ajoutons ces carnets de croquis et de notes prises sur le vif qui rappellent le temps passé par l’artiste à fouiller dans les collections, d’après… autour, avec… selon, avant de trouver la formule définitive. Une expo mixte en quelque sorte qui fait entrer la perforation d’un côté, la résistance de l’autre au Musée, Au fil des collections.
BTN
Plus d’informations : museefabre.fr