Si les gens qui s’intéressent de près aux arts plastiques en cette région, et bien ailleurs, étaient bien au courant depuis belle lurette, bien des Lunellois ont dû être très étonnés de voir CharlElie Couture invité en tant que plasticien en l’Espace Louis Feuillade, jusqu’au 9 avril. L’artiste mène en effet les deux activités sur les deux fronts depuis ses années d’études nancéennes.
Le choix des œuvres diverses réunies en l’occurrence, sans parcimonie, il faut bien le dire, est à cet égard conçu comme une invitation à la découverte à caractère rétrospectif : on y trouve, en effet, un dessin et collage sur papier illustrant la série des Chambres d’hôtel de 1986 ; un triptyque en bois plus ou moins enrichi (Crocodile et Requin, Le chien et son maître, Kaafascination), de la fin des années 90 ; deux peintures figuratives où l’artiste laisse les objets flotter, réalisés dans les années 2000 (La Montagne et L’indien de Mars) ; bon nombre d’œuvres enfin réalisées ces dix dernières années et empruntées aux séries sur les longilignes rues de New York, sur les silhouettes ciblées, sur les Autoportraits et même certaines inspirées par le confinement avec la complicité d’un Rimbaud masqué.
L’artiste fait un peu feu de tout bois. On le voit en particulier assembler des bois récupérés de manière à obtenir une allusion suggestive à un référent emprunté à nos divers champs de référence : un espadon, une stalactite visant une cible posée sur socle au sol, une épaisse croix (moi). Et surtout un très réussi, bien qu’abstrait, et donc facétieux, Batman ! Souvent le bois se combine au métal comme dans cette série de sculptures intitulées Le lièvre ou Trophée ou encore La Victoire. Le matériau récupéré, après un séjour dans l’atelier, finit par suggérer une forme qu’il revient à l’artiste de baptiser à la manière d’un enfant qui refait le monde (Le génie n’est que l’enfance retrouvée…). Il y a donc pour eux comme une seconde naissance et pour l’artiste à la fois un plaisir de faire connaissance avec une nouvelle entité à qui il a donné la vie, tout en approfondissant sa quête à travers une meilleure connaissance des formes induites par l’exploration du matériau.
Du bois, on en trouve aussi sur des toiles à l’instar de ce tableau sur New York mêlant peinture et photo, mais incluant des sortes d’étages colorés, de strates ou éléments de composition, que l’artiste nomme en anglais « level » (niveaux) of perception. Parfois le métal se suffit à lui-même comme dans cette extraordinaire arche de Noé qui rappelle effectivement une barque, ou ce Petit diable de bronze aux trous grimaçant. En observateur avisé, CharlElie sait tirer parti des choses du quotidien ainsi que le prouvent ses réalisations sur rideau de douche, en particulier son Couple aux profils transparents ainsi que son hommage à Lafayette, le grand libérateur vénéré Outre-Atlantique, mais qui circulerait aujourd’hui en avion (c’est le nom aussi du boulevard qui reçoit cette expo). Comme CharlElie. Car ce dernier s’est longtemps installé aux États-Unis, où il a peaufiné son style et réalisé ses toiles de paysages urbains qui lui ont permis de mieux se faire connaître en tant qu’artiste à part entière. On en trouve plusieurs occurrences en cette exposition, notamment des aquarelles et encre sur papier, toutes en légèreté ; également dans un tissage sur bois suivent le tracé d’une ligne blanche au sol entre deux gratte-ciels (du street art municipal en quelque sorte) ; et dans le fameux pont qui sous-tend le grand portrait de Rimbaud rappelant Miss Liberty, dans une peinture sur bois rehaussée de photos, de tissu, d’un drapeau et de bien d’autres choses. Les profils, ou plutôt Profman ou Profille, s’ouvrent aussi sur des fonds empruntés à la Big Apple qui ne dort jamais. On notera le recours à des collages en particulier sur le thème du gant, à de la peinture « middle age » sur vinyle, à des peintures sur tirage numérique contrecollé sur toile figurant de supposés pharaons aux coiffes démesurées, tout comme la dite Swimming poule (entendre pool : la piscine).
Car CharlElie ne dédaigne pas les jeux de mots et tout ce qui relève du populaire : ainsi de sa harpiste Hors piste. Une raquette tordue, devient Un Revers à jamais. L’anonymat est de rigueur dans bien des œuvres comme dans cette « blue head » qui se compose d’une simple silhouette cernée sur fond d’immeubles sombres. Mais, l’on a du mal à ne pas reconnaître CharlElie dans cette acrylique sur bois intitulée Autodestruction, de kaki vêtu, au visage non identifiable, car maculé d’une tache noire et résistant aux fleurs en plastique qui viennent ironiquement glorifier son statut de héros combattant. Le vrai combat, CharlElie Couture le mène dans ses œuvres, par ses soucis permanents de surprendre, d’attribuer une certaine noblesse au matériau laissé pour compte, à accorder aux choses un supplément d’âme, à sublimer les personnages urbains que l’on ne prend pas le temps d’identifier… Bref, il vise à modifier notre vision de la peinture, de l’art, des êtres, des choses et du monde. À Wall street ou autres Soho il préfère ceux plus à l’écart de Brooklyn (BKLN), à qui il consacre un tableau. Et qu’il se complaît à fêter d’une guirlande de chaussures, manifestement usagées et lancées sur un fil. Car l’artiste ne manque pas d’humour. Les noms de baptême de bon nombre de ses œuvres nous le prouvent. C’est qu’il s’adresse au plus grand nombre avec lequel il entend entrer en complicité, voire en communion, davantage qu’à des élites.
BTN
Plus d’informations : lunel.com