Depuis quelques jours, de nombreuses structures culturelles ont dû fermer leurs portes. Pourtant, elles avaient travaillé sur des expositions de grande qualité. BTN vous propose une visite virtuelle de ces lieux en vous partageant ses textes qui pourront vous rapprocher au plus près de ces expositions.
Eduardo Arroyo, ACMCDM, Perpignan
Une génération d’artistes ayant marqué les années 60 est en train de disparaître avec le décès d’Eduardo Arroyo (après celui d’Aillaud et Monory) : celle de ces petits cousins européens du pop art américain, réagissant contre la suprématie de la peinture abstraite dans les années 60-70. On parlait alors de figuration narrative, recourant généreusement à des couleurs vives ou systématisés, à un dessin souvent schématique (quand il ne tendait pas vers l’’hyperréalisme) et à un traitement distancié du stupéfiant-image.
Il était donc naturel qu’un lieu d’art qui se situe près de la frontière franco-ibérique, et ayant toujours regardé des deux côtés des Pyrénées, s’intéresse à ce madrilène ayant fait sa carrière en France. Cette expo de printemps est assez originale car elle sollicité un troisième pays avec lequel les deux précédents ont quelque accointance, la Belgique et le fameux polyptyque de l’agneau mystique, de Van Eyck, que l’on trouve entre les tours non de Bruges mais de la cathédrale de Gand. Ce retable a servi de modèle à notre artiste qui l’a traduit à la mine de plomb, plutôt qu’à l’huile, et a préféré se contenter du noir et blanc. Il ne s‘agit donc pas d’une copie mais d’une réinterprétation plus intimiste, et surtout très actualisée, du chef d’œuvre. Lunettes, costumes, lectures joyciennes pas très catholiques… la présence de Van Gogh ou d’Oscar Wilde, nous le prouvent et ajoutent de la distance et de l’humour à ce sujet de vénération – ils ont bien changé au cours des siècles. La surface générale est assez imposante, trente mètres carré, Arroyo ayant conservé le système des panneaux verticaux qui épousent les corps des personnages. Toutefois la partie consacrée à l’agneau mystique, Cordero mistico, est supplantée par des alignements décoratifs de mouches, insectes qui viennent également hanter l’ensemble de ce nouveau retable. L’ensemble de l’expo s’articule autour de cette pièce centrale et se déploie en différents volets. Au demeurant, l’habitacle temporaire de cet ancien garage, est suffisamment spacieux, le lieu est suffisamment ample pour ne pas se limiter au polyptyque. Partant du principe que l’artiste est un être itinérant, une série intitulée Madrid Paris Madrid présente également un diptyque à l’huile sur toile. On y voit l’artiste croqué selon le style dépouillé du peintre, évoluant sur une sorte de cirque déserté, aux bandes de couleurs superposées. Arroyo ayant un peu touché à tout, les œuvres sur papier et les multiples occupent le restant de l’exposition. N’oublions pas l’origine ibérique d’Arroyo même si ce dernier avait adopté la culture française ainsi que le prouvent ses portraits de grands écrivains ou penseurs (Montaigne, Descartes, Valéry…), célébrités historiques, (Napoléon) peintres (Toulouse-Lautrec ou son ami Télémaque). Des affiches engagées des années de jeunesse, soixante-huitardes. Des références à la tauromachie ou au flamenco, on n’est pas d’origine espagnole pour rien. Une occasion unique de se familiariser avec cet artiste qui mérite largement d’être découvert par les jeunes générations, pour qui l’image est en quelque sorte naturelle tandis que des artistes lucides mettaient le doigt, des décennies auparavant, sur les incidences qu’elles font subir à notre esprit et à notre vie quotidienne.
BTN