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Sélection du Off Avignon par Luis Armengol

8 Juil 2019 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre

La guerre de Troie (en moins de deux !)
Les dieux sont tombés sur la tête. Ils s’observent, se convoitent, se jalousent, s’étripent et se massacrent allègrement dans un western homérique qui ferait passer les plus célèbres psychopathes de l’histoire criminelle pour de pâles imitateurs. Sept comédiens et un pianiste font le récit des grands épisodes de l’Iliade, de la naissance de la Belle Hélène jusqu’au fameux cheval de Troie en passant par les exploits d’Achille, la Pomme d’Or, les manœuvres d’Ulysse, le sacrifice d’Iphigénie et toutes les péripéties d’un Olympe en folie. Ils narrent en nous faisant marrer la geste de tous ces dieux, demi-dieux et héros consanguins impliqués dans un siège de Troie aux allures de siège éjectable ! Un spectacle jubilatoire de bout en bout, aussi intelligemment drôle que drôlement intelligent, à vous faire regretter d’avoir baillé au collège pendant les cours d’histoire gréco-romaine. Cet oral de rattrapage s’annonce en tout cas comme un des grands succès du off, mené tambour battant par une troupe de comedianti-tragedianti au talent époustouflant qui plient en moins de deux cette histoire de Guerre de Troie. Quant au public, il ressort plié en quatre.
Théâtre des Halles à 14h jusqu’au 28 juillet

Moi, Daniel Blake
« Quand c’est votre dignité et votre amour propre que vous êtes en train de perdre, de toutes façons vous êtes foutu ! » Bon pour la casse Daniel Blake, menuisier de 59 ans, veuf, vivant à Newcastle, trop vieux, victime d’un infarctus qui l’a laissé sur le carreau. Cette grande gueule ouvrière peine à faire reconnaître ses droits auprès d’organismes sociaux qui le trimballent d’un service à un autre, dans un parcours kafkaïen qui suscite empathie et colère. Le film éponyme de Ken Loach, palme d’or à Cannes en 2016, dénonçait la transformation des services sociaux britanniques dérivant sous le vent d’un libéralisme cynique vers une sorte de machine implacable à faire du chiffre. Un cinéma militant qui a délibérément choisi son camp : celui des laissés pour compte de la société en lutte contre un système sourd à leur détresse. Parce que l’œuvre d’art est inscrite dans l’histoire, des conflits sociaux récents justifient totalement la pertinence de cette adaptation théâtrale. La mise en scène de Joël Dragutin ne perd rien de la vigueur dénonciatrice du film, et dans la peau de Daniel Blake, Jean-Yves Duparc, impressionnant de justesse, entraîne dans son sillage une équipe de comédiens qui donnent toute leur charge émotionnelle aux mots indignation et résistance.
Théâtre des Halles à 16h45 jusqu’au 28 juillet.

Le quai des brumes
« T’as de beaux yeux, tu sais. » On a tous en tête la réplique de Jean Gabin à Michèle Morgan dans le film de Marcel Carné (1938) d’après le roman de Pierre Mac Orlan et sur un scénario signé Jacques Prévert, devenu un classique du cinéma français. Jean, un soldat déserteur de l’armée coloniale, se rend au Havre dans l’espoir de quitter le pays. Il tombe amoureux d’une jeune femme rencontrée dans un bar, Nelly, qui vit dans la terreur de son tuteur, le misérable Zabel. On retrouve la noirceur de l’œuvre originelle dans l’adaptation théâtrale de Philippe Nicaud et Hélène Darche, sur fond de petite pègre portuaire et de rixes sanglantes, le tout baignant dans un réalisme poétique que ne dément pas le spectacle. Il y a ce côté mal fichu des êtres et des destinées que l’on retrouve jusque dans le jeu des comédiens et le bric-à-brac d’un décor qui complique un peu les évolutions des personnages. Ce Quai des Brumes confirme la tendance constatée dans le Off cette année, avec plusieurs adaptations théâtrales de films célèbres, le pari étant de se mesurer parfois à des chefs-d’œuvre comme c’est le cas ici.
La Factory, salle Tomasi, à 16h jusqu’au 28 juillet.

Le Dossier Jouveau
Français si vous saviez…Régulièrement, de nouvelles révélations viennent alimenter le dossier, déjà épais, de la collaboration française sous l’occupation allemande. Pour ce Dossier Jouveau, l’auteure Viviane Point est partie d’une véritable enquête familiale autour de Sylvia Weissmann déportée et morte à Auschwitz en 1943, mère d’un enfant séparé de sa mère à Drancy puis envoyé de pouponnières en logements d’urgence pour finir chez une nourrice accréditée par le Haut Commissariat aux questions juives.

Retour à la pièce, dont l’action se situe dans les années 80, autour d’une chercheuse, Louise, affectée aux archives de la Préfecture de Police et chargée de classer les fiches de l’Union générale des juifs de France. Elle va peu à peu découvrir qu’un syndic, Marc Jouveau, s’est approprié des biens de familles juives, allant jusqu’à dénoncer leurs propriétaires aux autorités allemandes. Elle en obtiendra les preuves nécessaires grâce au fils du syndic avec lequel elle a noué une idylle un peu contrariée. Ce qui n’est pas la partie la plus crédible de l’histoire mais permet néanmoins d’apprécier le jeu des comédiens au service d’une œuvre qui dépasse l’enjeu théâtral, avec notamment le procédé qui consiste à faire entendre au public les pensées intimes des personnages dans les dialogues directs.
Lucioles à 20h45 jusqu’au 28 juillet

Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner
Un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs comme il y en a tant en France, dans une banlieue perdue d’avance. Affalés sur un canapé, des jeunes traînent leur ennui du monde, leurs colères, leurs blessures, dealent les histoires qui tissent la trame et les drames de leur vie. Tout sauf des anges, plutôt du genre affreux, sales et méchants, comme dans le film de Scola. Chacun d’entre eux est porteur d’une violence qui s’augmente de celle des autres. On accueille avec morgue et mépris l’intervenante qui prétend initier au théâtre. Ce qui est arrivé à Christine Citti, auteure de la pièce mise en scène par Jean-Louis Martinelli, dans une scénographie impeccable qui suggère l’univers clos du foyer : un canapé, quelques chaises et tables, une cage en verre au centre, cœur d’un monde sans cœur ou mitard des espérances, c’est selon, et la grande porte du fond, entre échappée belle et enfermement, espoir et désespoir. « J’ai écouté, regardé des jeunes mineurs dans des foyers d’accueil d’urgence, confie l’auteure. Ils racontaient ce qu’ils avaient subi, ce qu’ils subissaient. Quelques éclats. Une violence sourde. Et beaucoup d’ennui. » D’où ce récit choral qui résiste au pathos menaçant ce genre d’entreprise, d’abord grâce à l’énergie des jeunes comédiens qui portent la pièce, puis au choix de faire entendre une parole crue, hargneuse et combattive. Un coup de gueule salutaire, une claque qui nous atteint sans pour autant nous surprendre.
Théâtre des Halles à 11h jusqu’au 28 juillet.

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