La fermeture des musées et centre d’art ne signifie pas qu’il n’y ait rien à voir au cœur des villes. En témoignent ces deux nouvelles expositions à voir à Montpellier.
Passer par Mécènes du Sud, c’est à chaque fois pénétrer les portes d’ivoire d’un autre monde où la norme est bannie, d’autant qu’en l’occurrence, au fronton de la galerie, on nous prévient que les hommes sont admis mais pas forcément les bienvenus. En fait, l’exposition Fly, Robin, Fly (célèbre titre des années 70) prend pour prétexte l’émasculation des castrats et cherche les œuvres qui évoquent subtilement la castration, qu’elle soit physique ou de nature obsessionnelle. Les rouges-gorges, de leur côté, perdent la vue pour le plaisir des oreilles. D’où l’analogie entre l’oiseau et le chanteur castré. On repère vite une postulation militante dans cette proposition qui revisite le féminisme des années 70 ou épouse les causes que l’on dit aujourd’hui Queer dont les castrats seraient la préfiguration. L’éphèbe en céramique de Mark Barker, comprimé, contorsionné, tête aplatie contre l’épaule, illustre bien la violence exercée sur les corps des plus fragiles, pas encore si sexués, au cœur de l’adolescence. Inversement, la performeuse Mélissa Airaudi s’est métamorphosée en Méduse, fantasme terrible de l’imaginaire masculin hanté par la femme castratrice. Elle s’adonne, autour d’un pole dance, à un effeuillage en musique jusqu’à retrouver sa peau naturelle, tatouée, débarrassée des terreurs viriles. Le commissaire de l’expo Nils Alix-Tabeling se forge, si l’on peut dire, la part du lion en s’inspirant de l’empereur hors-norme Héliogabale, qu’évoque si bien Artaud dans ses écrits sur l’anarchiste couronné. Son living room, véritable salle de soins, constitué d’une chaise et d’un lit en métal, rend hommage à la médecine alternative, la sorcellerie, la magie populaire en multipliant les objets-symboles, les pierres précieuses, les herbes magiques, dans une atmosphère et un esprit transgressifs, où la marge, le populaire, l’alternatif retrouvent leur droit. La fresque étrange d’Alison Tip lui fournit un environnement mural inquiétant avec ses sombres allusions oniriques à la mante religieuse, à l’orchidée, à des animaux fantastiques… Vanessa Didier a construit, de son côté, une cage géante en fer, avec de la paille au sol, d’où s’échappe la voix d’un corps absent, à moins qu’il ne s’agisse de protéger le mythique œuf du coq que l’on associe aux castrats. Au rez-de-chaussée, on est accueilli par une huile sur toile inspirée de William Blake où des policiers en patin jouent de la paire… de ciseaux entre une bouche et une oreille, tableau de Julien Fitzpatrick. L’exposition sollicite aussi d’anciens dessins érotiques du japonais Harukama, à partir de créatures géantes et callipyges dominants leurs chevaliers servants, minuscules, concupiscents et grotesques. Marie Legros marche en vidéo sur les choses d’un espace intime, avec l’allure lente de qui veut écraser les conventions du mâle, dans un cadrage fétichiste. A l’étage entre plusieurs films, Tai Shani effectue une relecture au féminin de la cité des femmes fellinienne imaginée, à l’aube de la Renaissance, par notre Christine de Pisan nationale. Il faut compter aussi avec la vidéo et la bande son de Kengné Téguia, membre de Black to the future et atteint de surdité. Et le travail textuel, poétique, effréné, fasciné par le langage et par les vertus de l’autofiction, que mène la sicilienne Tiziana La Melia qui rend hommage à la souffrance corporelle du castrat. Fly, Robin, Fly nous donne en outre l’impression de vivre l’exclusion à l’envers, et c’est sans doute le meilleur moyen de nous sensibiliser à ce qu’ont dû subir les castrats et tous ceux qui vivent autrement leur sexualité hors norme. Ou les minorités en général. Une expo qui dérange. Jusqu’au 6 juin. mecenesdusud.fr
Vasistas renouvelle sa confiance à Maxime Sanchez, que l’on a pu voir également au Frac. Cet artiste combine des éléments parfois ancestraux à des objets du présent, par là même il joint le naturel et l’artificiel. Parfois, l’illusion est trompeuse mais l’intention y est : les pierres de lithothérapie cachent en fait du polystyrène passé à l’enduit travaillé de telle sorte que l’on pense à une masse minérale réelle. Maxime Sanchez leur adjoint un harnachement adapté, une sorte de prothèse empruntée au matériel utilisé pour le moto-cross, notamment les pare-pierres justement. Le résultat est un parfait hybride qui réconcilie les contraires et mêle le présent au passé, les techniques industrielles de pointe aux manuelles ordinaires (terrassement, soudage…) pour reconstituer l’objet illusoire. Au mur un très vénérable écusson semble servir de blason à des paysages conçus par Ikéa. A l’entrée, une sorte de sculpture murale en forme de socle incurvé soutient un curieux objet de carrossier, très dentelé, servant à réparer les carrosseries abimées mis ainsi en exergue comme une éminence sur une île. Ignoré des non spécialiste, il entre dans l’archéologie future de notre présent souvent ignoré. Maxime Sanchez n’hésite pas à recourir à toutes les spécialités écartées de la noblesse artistique, celle des artisans et ouvriers y compris agricoles. L’une des pièces marquantes de l’expo représente la pelle d’une excavatrice, totalement reconstituée à partir de moyens techniques en tous genres de manière à obtenir un faux ready-made qui se paie le luxe paradoxal, de surcroît, de paraître dégradé. Enfin des vases en céramique au mur associent les moyens modernes de reproduction à des références relevant du passé glorieux de l’art. C’est assez marquer la visée archéologique. Plus discrètement, Vasistas offre une première chance au jeune Paul Chochois, lequel a transformé avec humour des cartes postales de Floride, années 50 en pâles images passées au vert du dollar selon un processus de fabrication décapant dont il révèle volontiers le secret. Son casque de moto a été prélevé sur la peinture d’une façade bancaire, comme si, faute de pouvoir extraire l’intérieur, on se contentait de prélever l’extérieur. Enfin, il est parvenu à capturer le mouvement d’un véhicule en marche sous forme de gravure pneumatique. Comme on le voit, cet artiste, culotté, ne manque pas d’idées et sait les réaliser en franc-tireur. Deux expériences qui se rejoignent parfois et se complètent. Jusqu’au 24 avril. vasistas.fr