Depuis 125 ans et Rostand, aucun dramaturge ne s’était plus risqué à la tragédie en alexandrins, genre classique qui a fait la gloire du théâtre français. Jean-Marie Besset, grand admirateur de la langue de Corneille en rêvait, il a relevé le défi. Et de quelle manière. Il lui fallait un sujet historique et original. Il a fini par le trouver.
En Prusse, le fils du roi Guillaume, Frédéric, éprouve une passion interdite pour l’officier von Katte. Les amours sodomites étaient considérées comme perverses et dépravées. Le père violent, brutal, ne jure par la chasse et l’armée et terrorise sa famille. La mère douce et tendre, déploie tout son amour pour tenter de protéger ses enfants. La fille, la princesse Mine et le fils, Frédéric, n’aiment que la littérature française et la flûte. Un instrument symbolique, fil rouge de la pièce : « Qu’on te prenne à souffler le pipeau d’un seul homme/ Et je t’assommerai comme bête de somme. » L’intrigue évolue en cinq actes et 1670 vers. Après le premier, qui comme dans la plus pure tradition sert d’introduction, le drame s’installe jusqu’à la fin devenue inévitable, le passage par l’épée du malheureux Katte. Jean-Marie Besset mêle la langue et les tournures grand siècle, à celles d’aujourd’hui, plus débridées et parfois triviales. Particulièrement, réussies, les stances de Frédéric, dignes de celles de Corneille. Ce mélange des styles rend l’alexandrin terriblement contemporain. Seule entorse à la tradition classique, l’assassinat sur scène. Les comédiens, se les approprient avec beaucoup de naturel comme de la prose pour cette lecture spectacle mise en espace par Anne Bouvier, dans des décors de Régis de Régis Martrin Donos et des costumes de Laurence Cucchiarini. Ils ont tous le texte en mains sauf Tom Mercier. Le comédien israélien, craignant d’écorcher le français, s’est donné la peine d’apprendre son rôle. Il joue avec finesse. En face de lui le très jeune Jérémy Gillet émeut. Les scènes entre les deux et celles où intervient la sœur Mine, Marion Lahmer, apportent fraîcheur et douceur à l’atmosphère pesante de cette tragédie. Jean-Pierre Bouvier, le roi Guillaume, se déchaîne dans la violence et la cruauté. Tandis que la très talentueuse Béatrice Agenin, exprime le déchirement d’une mère avec conviction. On oubliera les interventions à la flûte de d’Emeline Pont. C’est avec bonheur qu’on a assisté à ce retour gagnant des alexandrins. Mille mercis à Jean-Marie Besset. On souhaite à Katte une longue vie.
Après cette création, l’évènement incontestable du festival, la manifestation continue cette semaine jusqu’au 3 août. Mercredi 31 juillet, reprise d’Ismène, de Carole Fréchette mise en scène de Marion Coutarel avec Mama Prassinos, justice est rendue à la petite sœur oubliée d’Antigone, à revoir ou à découvrir. Le 1er août, une reprise de l’excellent De Gaulle apparait en songe à Emmanuel Macron qui vient de triompher au Off d’Avignon. Un régal de Jean-Marie Besset, le texte De Gaulle aurait pu être écrit par le Général lui-même. Le 2 août, Vive l’amour ! un spectacle imaginé par la pétillante Julie Depardieu avec Juliette Hurel, flûte et Hélène Couvert, piano. Et une création pour fêter les 25 de la manifestation, L’année de la pensée magique, de Joan Didion, traduction de Jean-Marie Besset, direction Gilbert Désveaux, avec Martine Chevallier.
MCH
Plus d’informations : festival-nava.com