Outre les temps forts autour de Molière et des compagnies berlinoises, comment avez-vous construit la programmation de cette édition 2022 ?
Quand on fait une programmation, c’est comme un chaos, il y a de nombreux projets et on doit faire des choix. Et puis, quand on la regarde, on s’aperçoit qu’il y a des lignes fortes. Cette année, est-ce parce qu’on sort d’une longue nuit due à la crise sanitaire, la programmation comporte trois textes venus de l’Antiquité. Des pièces nées de ce chaos initial, de cette nuit du commencement, quand l’homme se pose des questions sur l’être.
Pendant le Printemps, on verra Prométhée d’Eschyle dans une mise en scène du Grec Nikos Karathanos. Il nous emmène dans une maison météorite. Les dieux sont là et tout le propos est de savoir comment leur parole va influencer le cours des choses. De son côté, Éric Lacascade a décidé de mettre en scène ce qu’Aristote a appelé le « paradigme de la tragédie », Œdipe Roi de Sophocle. Une tragédie religieuse, de l’existence et des passions. Enfin, Georges Lavaudant proposera sa version de Phèdre de Sénèque. Dans ce cas, c’est la tragédie de la parole, des non-dits, et de ce que l’on ne veut pas entendre.
Dans la programmation, il y a tous ces grands textes, mais également une partie très importante du théâtre d’aujourd’hui : les performances. Je pense à Glory Wall de Leo- nardo Manzan, un jeune italien, dont le spectacle, à la fois plastique et théâtral, propose une réflexion sur la censure au théâtre. Autre proposition, celle de Léa Drouet avec Violences : un travail très intime partant de la fuite de sa grand-mère du Vél’d’Hiv et de son voyage jusqu’en zone libre. Finalement Léa Drouet nous parle de la violence du monde, de la mauvaise information, et de ce qui se cache derrière les réseaux sociaux. Ensuite, l’immense Steve Cohen (From Outside In) vient avec quatre artistes aux esthétiques différentes qu’il fait se rejoindre par un langage commun. Et puis, Marina Otero présentera Love me, un spectacle dont on sait peu de choses si ce n’est qu’il raconte son intimité, sa vie, ses blessures, ses fêlures avec son corps. Dans les performances, on peut également mettre le travail merveilleux de Maguelone Vidal, La tentation des pieuvres, une proposition à la fois culinaire et musicale.
Je pense qu’il est assez passionnant de mettre dans ce parcours festivalier, en miroir des grands textes, cette floraison performative au plateau. Cela nous permet d’abord d’affirmer ce qu’est le Printemps, un festival de théâtre populaire et exigeant.
« Quand on fait une programmation, c’est comme un chaos, il y a de nombreux projets et on doit faire des choix »
Pour conclure le festival, avant le feu d’artifice que sera la fête de la musique, il y aura un événement venu de Lituanie, Respublika de Lukas Twarkoski. Ce spectacle raconte comment un groupe de jeunes gens renonçant à l’état du monde tel qu’il est, va essayer de faire non pas communauté, mais commune. Les spectateurs sont conviés à cette aventure extraordinaire, hors-norme, artistiquement parlant, qui durera six heures ! Il n’y a plus de rapport scène/salle, les artistes et les spectateurs sont côte à côte. Dans les bars on peut partager un verre, participer et réagir à la discussion. C’est une fête qui tend à être un endroit de réflexion sur la construction de demain. Ce spectacle dure six heures et je pense que quand le jour se lèvera et que le festival sera quasiment fini, que l’on aura parcouru près de 2500 ans d’histoire du théâtre, on sera un peu plus fort pour affronter les difficultés du monde telles qu’on les connaît aujourd’hui.