Rêveries
Quand vous étiez jeune, à quoi rêviez-vous ? Est-ce que vos rêves se sont réalisés ? Quel regard portez-vous sur la jeunesse aujourd’hui ? Ces questions posées à trois générations qui ont traversé le siècle, des années 40 jusqu’aux années 80, et leurs réponses tissent la trame de Rêveries de la Néo-Zélandaise Juliet O’Brien. Cinq années d’enquête ont permis de recueillir des témoignages donnant vie et parole à des personnages des plus attachants par leur simplicité ou leur complexité. En même temps qu’ils déroulent leurs souvenirs se déploient des tranches d’histoire, depuis la Seconde guerre mondiale jusqu’aux mutations des années 60, 70 et 80 en passant par la Guerre d’Algérie. Sans pathos ni nostalgie, avec pour moteur existentiel la quête de l’amour et d’un mieux-être social, avec aussi le net refus du fatalisme. On y suit les itinéraires d’une femme de ménage flanquée d’un père et d’un mari alcooliques qui s’extrait de sa condition en devenant aide-soignante, celui d’un jeune Breton envoyé faire la guerre en Algérie, celui encore d’une jeune militante de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne devenue assistante sociale, puis le parcours d’un cuisinier arabe trouvant son bonheur auprès de ses petits-enfants après une vie de labeur. Car le travail est au cœur de toutes ces histoires, parfois aliénant mais aussi libérateur quand il s’agit de conquérir son autonomie dans les rapports familiaux.
Sur scène, quatre formidables comédiens, deux femmes et deux hommes, se glissent dans la peau de tous les personnages, âmes fortes qui nous embarquent dans une saga aussi drolatique que tendre. « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves » écrit Shakespeare dans La tempête. Rêveries ne manque ni d’étoffe ni de tempêtes que le collectif La Jacquerie affronte avec un réel talent.
Présence Pasteur à 19h45 jusqu’au 21 juillet
Luis Armengol
La contrainte
Depuis Stanley Milgram et son expérience de soumission à l’autorité dans les années 60, de nombreux travaux en psychologie sociale ont démontré qu’un individu peut adopter un comportement contraire à ses valeurs lorsqu’une source d’autorité reconnue, groupe ou gouvernement, le lui demande. Se produit alors comme un accord tacite, un consentement, dans lequel l’ordre reçu écrase toute forme de liberté individuelle.
C’est de cela dont il est question dans La contrainte de Stefan Zweig, nouvelle publiée en 1920 au sortir d’une guerre qui a ravagé l’Europe et fait une vingtaine de millions de morts sur les champs de bataille, laissant une autre vingtaine de millions d’estropiés. D’une veine à la fois pacifiste et révolutionnaire, cette œuvre résonne de questions encore actuelles : qu’est-ce que l’obéissance, la patrie, les frontières ? Jusqu’où obéir, qu’est-ce que le devoir, qu’est-ce qu’être libre ?
Autant de questions que se pose Thomas R. qui vient de recevoir son ordre de marche pour partir à la guerre alors qu’il vit de l’autre côté de la frontière où il est allé chercher un peu de paix et d’harmonie pour développer son activité de peintre aux côtés de sa femme Anna. Confrontation passionnée de ces deux personnages, le premier en voie d’être happé par l’appel à la mobilisation de son pays, la seconde rebelle à l’ordre reçu d’une autorité bureaucratique à laquelle elle nie toute légitimité face à la liberté de choix individuelle. Corps à corps philosophique superbement interprété par Anne Conti et Cédric Duhem dont le jeu engagé, véritable cri physique et moral, donne toute sa force à ce spectacle. Les interventions musicales de Stéphanie Chamot, tantôt bruiteuse et narratrice, d’une belle étrangeté sonore, contribuent à la réussite de cette adaptation impeccablement mise en scène par Anne-Marie Storme qui donne à voir la chair des mots de Stefan Zweig.
Bourse du travail CGT à 16h jusqu’au 20 juillet.
L.A.
Le secret des Ombres
Le Off fourmille d’histoires d’Histoire et Le secret des Ombres, n’échappe pas à la tendance. A la mort de son père, Christian découvre une photo de celui-ci en compagnie de figures reconnues de la Résistance ayant appartenu au célèbre réseau du musée de l’Homme. Commence un véritable travail d’enquête pour connaître le rôle exact de son père au sein de ce réseau qui fut démantelé sur dénonciation de l’un de ses membres. Et si le père était un traître et non un héros ?
La fiction rejoint ici la réalité puisqu’elle mêle à la fois des éléments romanesques et des faits historiques avérés, évoquant l’un des premiers réseaux de la Résistance et ses protagonistes véritables tels Boris Vildé, Germaine Tillion, Anatole Lewitsky ou encore Jean Moulin. Le secret des Ombres expose sans manichéisme l’action et les motivations de ces femmes et de ces hommes, s’attachant à la complexité des liens entre les personnages auxquels les comédiens de la compagnie Les Poulbots donnent une belle humanité. La petite histoire y côtoie la grande, ou l’Histoire avec sa grande H (hache) comme l’écrira un jour Georges Pérec dont la famille disparut dans les camps de concentration. Pour guider le spectateur entre époque de l’Occupation et années 80, moment de l’enquête menée par le fils, des cartons jalonnent la scène en autant d’archives qui vont révéler leurs secrets, aboutissant à la vérité finale qu’on ne révèlera pas ici pour conserver l’intérêt de cette quête-enquête qui maintient le spectateur en haleine jusqu’au dénouement final.
Roi René à 12h10 jusqu’au 21 juillet.
L.A.
Adolf, Benito et Joseph, une partie d’échec(s)
Imaginons un instant ces trois lascars réunis au sein d’un même Ehpad métaphysique, en train d’échanger leurs souvenirs ou ce qu’il en reste, tout en disputant une partie d’échecs dont ils violent allègrement les règles. On y voit un Hitler s’adonnant à la peinture d’autoportraits bien narcissiques flanqué d’un Mussolini pleurnichard et d’un Staline prompt à rafler la mise (en scène). Histoire de pions et de fous, menée tambour battant un peu sur le registre du Dictateur de Chaplin jouant avec un ballon de baudruche qui figure le globe terrestre. Une histoire sous forme de comédie absurde qui serait un peu courte sans la présence d’une sorte de Madame Loyale (excellente Manuelle Molinas) qui mène par le bout du nez les trois mauvais génies direct dans un enfer dont ils n’auraient jamais dû sortir.
Chapelle des Italiens à 14h10 jusqu’au 21 juillet
L.A.