Il flotte un vent de cabaret sur le printemps des comédiens. Deux spectacles s’affichent clairement comme tels. Les deux autres y font parfois penser.
Le Secret*, cabaret du bon goût d’autre chose… est victime d’une erreur d’espace. L’amphi d’O ne se prête pas du tout à ce style. Les spectateurs sont dispersés sur la scène, dans les allées, autour de tables, les autres sur les gradins. Singulier contraste entre la scène surpeuplée et encombrée de loges et de vestiaires et le podium sur lequel se succèdent les artistes dans leurs costumes à paillettes. Ambiance char de gay pride. Conçu et orchestré par Jérôme Martin, Monsieur K, meneur de revue, ancien directeur de Madame Arthur, le fameux cabaret parisien, le spectacle est déconseillé au moins de 16 ans. Il est en effet ici question de sexe et de jouissance. En acte et dans les paroles des chances parfois originales parfois des détournées. Une certaine poésie dans le numéro du chanteur voltigeur dont a apprécié ou dans la parodie de Candy. Mais l’ensemble, joyeusement bordélique est beaucoup trop long.
Rien à jeter en revanche dans Le cabaret renversé****, renversant. Dehors le public attend, Julien Candy réclame l’assistance de deux jeunes, ses serveurs lui ont fait défaut. Après seulement le public peut pénétrer dans le chapiteau jaune de la compagnie La faux populaire, où l’attend Juliette Christmann sanglée dans une veste rouge de dompteur. Julien Candy, homme-orchestre de ce spectacle, est à la fois concepteur, auteur, metteur en scène, scénographe et interprète de sa nouvelle création composé comme un hymne à l’amour. En duo avec Juliette Christmann, un couple sur scène et dans la vie. Les gradins traditionnels ont disparu. Les spectateurs sont installés par petites tables. Artiste de cirque après avoir été formé au conservatoire, à l’Opéra Junior, Julien Candy chante Lasciach’io pianga, tout en tournant sur un vélo, sa femme réalisant des acrobaties autour de lui. Fusionnels. Ensemble, ils jouent de la musique sur des verres, avec un violoncelle renversé ou un violon suspendu. Les intermèdes sont réservés à la dégustation de vins, excellents, servis par des figurants complices et Guy Périlhou, Monsieur Cirque en Languedoc-Roussillon. On est séduit par la technique fluide, par la poésie qui se dégage. Equilibre avec des verres. À Juliette fil de ferrite, Julien répond par un jonglage sur scie. Le pistolet laser s’invite pour crever les ballons dans le prélude. L’idée était de montrer la dualité du couple. Qui est le plus fragile ? Qui domine ? Avec des numéros de cirque revisités, le couple invente un cabaret renversé renversant les stéréotypes. Une petite merveille.
Au Hangar, Le malheur indifférent** d’après Peter Handke est mis en scène par Georges Lavaudant avec la promotion 3ᵉ année de l’Ensad, Montpellier. Un défi de choisir un texte avec peu de dialogues et peu d’action pour de jeunes interprètes. En effet le roman de Handke raconte la vie de sa mère, une vie déserte, sans désir qui s’achève à 51 ans par un suicide alors que fillette, elle avait supplié qu’on lui apprenne quelque chose. La première partie très visuelle dans une ambiance cabaret, avec chants et danses, le thème des différents actes affichés sur un rideau scintillant, très enlevé, réussi. Le chorégraphe Fabrice Ramalingom a su faire danser ces artistes non spécialisés. Plus tard, dans la seconde partie, les intermèdes qu’il a dirigés donnent de l’air à ce récit parfois indigeste. Et plat. La faute à l’inégalité des comédiens cruellement mise en évidence. Quant à l’enterrement où chacun est invité à dire un mot d’adieu à la morte, elle est très dérangeante. Trop ou pas assez décalée. Trop long et pas toujours compréhensible.
Au théâtre Jean-Claude Carrière, le très attendu Journée de noces chez les Cromagnons ****, tient toutes ses promesses. La pièce de Wajdi Mouawad, écrite en français en 1991, au Canada, a été traduite en arabe par l’auteur. Il trouvait que la langue de Molière n’était pas adaptée au rythme, à la vitesse et au cri qui sont ceux de son écriture. L’œuvre aurait dû être créée au Liban mais devant les lourdes menaces pesant sur le théâtre Monnot, le projet a été abandonné. De quoi s’agit-il ? Sous les bombes, et alors qu’un orage est annoncé, une famille juive prépare le mariage de la fille ainée, le fiancé n’est pas là ? L’idée est venue à Wajdi Mouawad alors qu’il était au Canada et planchait sur Kafka qui préparait ses noces, mais sa fiancée ne venait pas. Il pense aussi à En attendant Godot. Exilé il se souvient des horreurs vécues dans son pays, notamment l’incendie d’un bus plein d’enfants. L’action se déroule dans un décor de bois clair dépouillé, avec fenêtre à cour et à jardin. La mère en bigoudis, vraie mama méditerranéenne, et le fils Neel, s’engueulent à propos de salades et de pommes de terre à moitié pourries. Les invités arrivent à 4h, rien ne sera prêt. Heureusement arrive la voisine, Souhaila, chargée de marmites cuisinées par les habitants. En temps de guerre, on est tous solidaires. On entend la fille Nelly répéter inlassablement la même phrase. Elle est narcoleptique. « La narcolepsie est un don de Dieu dans un pays en guerre », déclare la mère. La fille tient de La cantatrice chauve et de La belle au bois dormant. Autre personnage important, le mouton, pas de mariage sans gigot ! Le père est chargé de l’achat. Ainsi meublent-ils l’attente. Un rythme échevelé, parfois chorégraphié comme dans un cabaret ; Les scènes s’enchainent au rythme des bombes que Neel, le fils reconnait au son. Nazha (Aïda Sabra) et Souhaila (Bernadette Houdeib) forment un duo étourdissant. Aly Harkous campe un Neel hébété, raisonneur nonchalant, très drôle. Fadi Abi Samira, Néyif, joue les pères méditerranéens : colérique et grossier jusqu’à l’obscène, irrésistible. Son arrivée avec le mouton bêlant qu’il égorge et dépèce est truculent. Layal Ghossain, Nelly apparaît enfin dans sa robe de mariée, fragile et pleine de charme. Elle y croit à ce mariage rêvé. Théâtre dans le théâtre, on voit dans le lointain sous la neige, au Canada l’auteur écrivant sa pièce. Et surprise, il débarque enfin en fiancé. Son baiser réveille la belle endormie. Wajdi Mouawad fait admirablement télescoper deux mondes, l’oriental de ses racines, l’occidental, qu’il a adopté, il est directeur du Théâtre de la Colline. La situation absurde, l’humour, la langue, poétique et triviale, font de cette Journée de noces chez Cromagnons un spectacle jouissif. On pourrait dire « A Dieu que la guerre est jolie », si hélas ce n’était pas la réalité.
Mch
Le cabaret renversé, jusqu’au 15 juin ; Marius, jusqu’15 juin ; les messagères, 18 et 19 juin, ; Re Chichinella, 18 et 19 juin.
Plus d’informations : printempsdescomediens.com