Les Détaché.e.s
Le jeu théâtral ne se paie pas que de mots. Référence absolue en matière de formation de l’acteur et de construction du personnage, Stanislavski (1863-1938) s’interrogeait sur la façon de produire du vrai, du vécu, dans une situation artificielle. Le « système Stanislavski » mettait ainsi sur un pied d’égalité le geste et l’action avec l’émotion et le vécu, l’extérieur et l’intérieur, l’intime et l’extime dont parle Lacan.
Les Détaché.e.s de la compagnie Le Chat Foin en offre un bel exemple, avec l’engagement physique total de ses protagonistes qui permet d’exprimer parfois l’indicible voire l’insoutenable, portant l’émotion à son paroxysme. Sous les yeux du spectateur, une famille bien ordinaire, avec ses violences et ses carences certes, qui va se décomposer au fil d’événements conduisant les personnages jusqu’à la folie meurtrière. La première scène donne le ton, avec la rencontre au parloir d’un jeune condamné à perpétuité, Jean, et de sa mère qui ne l’a jamais visité pendant douze ans. Commence alors le récit de ces destins cabossés sous forme d’un puzzle qui en reconstitue progressivement, pièce par pièce, individu par individu, l’inéluctable tragédie. On assiste, un peu en apnée derrière nos masques sanitaires, à ce délitement des rapports humains qui interroge notre propre humanité. Comment naissent les monstres, à l’abri des regards derrière les persiennes closes de la vie familiale ? C’est aussi la question que pose la pièce.
Le projet de ce spectacle mené Yann Dacosta, Stéphanie Chêne et Manon Thorel est né de rencontres avec des détenus de la prison de Cherbourg et de multiples ateliers d’écriture. Les Détaché.e.s est comme l’écho de ces vies en pointillés, incarnées par cinq comédien.e.s simplement formidables.
L.A.
Les Détaché.e.s au 11 Avignon à 22h15 jusqu’au 29 juillet, relâche les 12, 19 et 26. 04 84 51 20 10
Bernarda Alba de Yana
L’une des pièces les plus connues de Lorca, montée par Le Grand Théâtre Itinérant de Guyane qui en donne ici une version originale, 18 ans après sa création dans ce même lieu, attestant du même coup l’universalité de l’œuvre du dramaturge andalou. A la mort de son époux, Bernarda Alba s’enferme avec ses filles qu’elle assigne en quelque sorte à résidence, leur interdisant tout contact avec l’extérieur le temps que durera le deuil, huit années. Mais le désir ne porte pas le deuil, il vient cogner à la porte de ces existences soumises aux traditions archaïques pour sonner la révolte des corps et des cœurs. La sœur ainée Angustias doit épouser Pepe Le Romano que convoite aussi la jeune Adela, bien décidée à vivre son destin en dépit et au défi de tous. Tout le théâtre de Lorca baigne dans cette même thématique de l’affrontement entre le désir et la loi, cette matière qui constitue le cœur d’un monde sans cœur. Et c’est un réel plaisir de le sentir battre en chacune des interprètes si vivantes de cette Bernarda Alba guyanaise.
L.A.
Bernarda Alba de Yana à la chapelle du Verbe Incarné à 16h50 jusqu’au 28 juillet, relâche les 15 et 22. 04 90 14 07 49
Avec
Il n’y a pas de gens ordinaires, proclame Avec présenté par la compagnie Abraxas, écrit et mis en scène par Damien Roussineau. Un spectacle qui est le fruit d’un travail d’improvisation suivi par une écriture de plateau aboutissant à une œuvre collective des plus maîtrisées. La rencontre, le rapport à l’inconnu, l’altérité et la différence mais aussi l’indifférence sont au cœur de Avec qui aborde des thèmes d’actualité comme l’accueil des migrants, la protection de l’enfance, le délitement des liens familiaux, la réussite professionnelle, la solidarité. Par touches successives, cinq comédiens tissent la trame d’une histoire qui met en présence un instituteur afghan réfugié en France, deux sœurs en conflit permanent, un employé des pompes funèbres et sa femme juge pour enfants. La narration opère par cercles concentriques, prenant corps et cohérence, traçant peu à peu une ligne qui relie ces personnages. Cette dynamique à l’œuvre, finement conduite par le jeu impeccable des acteurs, renouvelle l’intérêt permanent de ce très bon spectacle.
L.A.
Avec au Théâtre des Lucioles à 19h25 jusqu’au 31 juillet. Relâche les 11, 18 et 25 juillet. 04 90 14 05 51