L’Établi
C’est l’histoire de Robert Linhart, brillant étudiant de Normale Sup, élève de Louis Althusser(…à rien,clamaient les soixante-huitards !), militant du mouvement maoïste UJCML créé vers la fin des années soixante. Un mouvement qui prônait l’embauche de ses militants en usine pour porter la révolution au cœur du monde ouvrier : vivre la vie des prolétaires pour mieux les comprendre, servir les luttes sociales et contribuer à la résistance contre le patronat. Bref, préparer le Grand Soiroù le peuple prendrait enfin le pouvoir. En septembre 1968, le camarade Linhart se fait donc embaucher comme ouvrier spécialisé à l’usine Citroën de la porte de Choisy. De cette expérience, il tirera un livre, « L’Établi », qui reste à ce jour un témoignage de ces années de lutte, des utopies de l’époque et de leur difficile confrontation avec le réel.Un réel que Robert découvre à son entrée en usine, avec son cortège de petits chefs, les méthodes d’un patronat tremblant encore sous l’onde de choc de 68, bien décidé à faire payer sa grande trouille aux agitateurs de tout poil. L’Établi met en scène une grève d’un an, le ras-le-bol d’ouvriers aux vies cabossées par les cadences infernales, leur révolte bientôt matée par le flicage permanent de la hiérarchie, les mesures vexatoires et les licenciements des fauteurs de trouble dont fit partie Linhart.
« Il nous appartient de rendre compte, avec les moyens du théâtre, de cette époque passée qui éclaire le présent. » Avec cette conviction pour étendard, la compagnie du Berger nous restitue cet épisode avec un réalisme flamboyant, une énergie collective qui ne laisse aucun temps mort et que la mise en scène d’Olivier Mellor privilégie. Ils sont une dizaine sur scène pour figurer les protagonistes de cette histoire, le travail à la chaîne devant un mur d’acier, le brouhaha des bruits de l’usine, les tâches répétitives, les contrôles de production, les moments de pause et de fraternisation, les colères et les révoltes contre un système broyeur de vies. Aujourd’hui, la photo a un peu jauni, les utopies sont parties en fumée, les directeurs de ressources humaines ont succédé aux petits chefs, les robots ont remplacé les ouvriers.A défaut d’aubes rouges, l’Etabli nous parle de l’étincelle de vie qui les produit, d’un espoir enfoui dans les mémoires, porteur d’un message anticapitaliste toujours actuel.
Présence Pasteur à 12h50 jusqu’au 29 juillet
La méningite des poireaux
« Moi, la psychiatrie, je l’appelle la déconniatrie » disait François Tosquelles. A la fois psychiatre, catalan et marxiste, ce qui fait beaucoup pour un seul homme. Il fut aussi l’un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle dont la thèse fondatrice était qu’il fallait d’abord soigner l’hôpital pour pouvoir soigner des patients. Né en 1912 à Reus, en Catalogne, membre du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM), il fuit l’Espagne franquiste et se retrouve en France dans le camp de réfugiés de Septfond où il met en place un système de soins psychiatriques. Il n’hésitera pas à embaucherd’anciennes prostituées parmi le personnel soignant, estimantavec une logique imparable qu’elles s’y connaissaient en matière d’hommes. Il rejoint ensuitel’hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole, participe aux activités des maquis de la Résistance de la régionavant de créer la Société du Gévaudan qui veut humaniser la psychiatrie asilaire en rendant notamment aux malades leur liberté de mouvement. Ilva les envoyertravailler dans des fermes, organise des ateliers de théâtre et des séances de cinéma. Il publie aussi un journal interne, tenu par les malades, où l’une se déclarera un jouratteinte de « La méningite des poireaux ».
Nous y voilà. Face au public, deux experts en déconniatrie : Frédéric Naud, auteur et acteur de la pièce, et sa complice Jeanne Videauvenus prescrire au public un médicamental-miracle qui soigne toutes les dépressions : le rire. Un rire intelligent, le contraire d’un rire de connivence avec l’ordre existant comme nous le proposent certaines salles spécialisées du Off. La méningite des poireaux distille un humour subversif parsemé de perles de Tosquelles comme celle-ci : « La folie, c’est le noyau dur de l’homme, il n’est pas prudent de l’avaler. », ou bien cette autre : « Le seul à devoir bénéficier d’un emprisonnement à vie, c’est le psychiatre. » C’est comme ça pendant plus d’une heure et on en redemande tant ces fous de théâtre ou ces théâtreux fous, comme on veut, nous en mettent plein la vue – excellente mise en scène borderline de Marie-Charlotte Biais – et plein la tête avec un spectacle qu’il est permis d’aimer à la folie.
Artéphile à 14h30 jusqu’au 27 juillet
A fond
Alex et Rémy fument des pétards le long d’une voie ferrée en regardant passer des trains qu’ils ne prendront jamais. Eternels retardataires d’une société qui va trop vite pour eux, ils restent à quai, assis sur des pneus de camion dans leur squat improbable. Au ralenti dans leur vie, ils sont à fond dans leur tête, personnages beckettiens en marge de tout sauf d’eux-mêmes. Ils n’attendent pas Godot, ni personne, ils fument tranquillement, pour passer le temps, tandis que les heures se consument en volutes de fumée. Leur pote Luc, lui, a pris son destin en mains. Il est monté à Paris, à bord d’un de ces tgv que ses amis aiment regarder passer, bien décidé à décrocher un poste intérimaire, et puis on verra bien. Pour l’heure, il a croisé Marion dans le wagon-bar, une jolie fille qui travaille dans la com, qui lui plaît bien et à qui il plaît. Ils vont avoir une histoire qu’on devine brève, puisqu’à la fin Luc retourne à la case départ parmi ses copains, lesté d’une expérience qui lui laisse un mauvais goût dans la bouche et dans le cœur.
La pièce de Lucas Hénaff A fond raconte le quotidien de ces potes de galère qui ressemble à celui de beaucoup de jeunes aujourd’hui, dans une langue syncopée, saturée d’expressions tirées du lexique contemporain, laquelle n’échappe pas toujours aux tics d’un vocabulaire « djeun »dont les blancs et les pointillés sont parfois plus porteurs de sens que les propos eux-mêmes. C’est en cela que le parallèle avec Beckett peut sembler pertinent, dans la maîtrise d’une langue volontairement dépouillée, avec ses répétitions pour dire le rien, la reproduction du même pour suggérer la réduction des vies. Avec des boucles où toute fin se solde par un recommencement. Comme chez Beckett, les personnages de A fond suivent un parcours qui les amènent à repartir aussitôt en sens inverse. Le jeu des comédiens, la mise en scène alternant deux espaces, celui du squat et celui du tgv, les ambiances sonores et les lumières contribuent à la réussite d’un des très bons spectacles du Off.
Train Bleu à 19h05 jusqu‘au 29 juillet