Ce court roman nous fait basculer dans d’autres époques. Celle de sa première version, où portables et réseaux sociaux n’existaient pas, quand il s’intitulait Journal de l’homme arrêté (et l’on peut ainsi mesurer l’impact et sa signification d’un ouvrage selon l’époque de sa publication, eu-égard à l’évolution des mœurs qui aura caractérisé ces trente dernières années).
Celle des années 90, où l’on trouvait encore des orchestres dans les bals de village, durant laquelle se déroule ce retour aux sources familiales, dans la région de Béziers (Un livre d’Oc, donc). Également dans le passé du protagoniste, diariste temporaire, relatant ses fredaines de jeunesse. Le libertin toujours revient… Et jusque dans le passé plus lointain, celui de la Grande Guerre, où mourut un grand-oncle, fauché à la fleur de l’âge, sans avoir pu évidemment profiter de la vie. Encore qu’il ne semblât pas attiré, pas plus que le narrateur, par le milieu agricole qui lui tendait les bras. C’est lui le coureur, même si son neveu lui eût tenu la dragée haute, mais dans un tout autre genre…
Toutefois, c’est surtout dans le XVIIIe siècle débauché, fréquemment sollicité, que le narrateur aime à nous plonger. C’est assez dire si ce livre se montre en décalage avec le retour en force de la morale qui caractérise notre époque. Enseignant, il est plus cultivé que la moyenne. Il commente et cite Mahler avec lequel il se sent un point commun, se compare au St-Paul de Caravage, se réfère aux figures tutélaires de Crébillon ou Casanova (dont l’auteur est un spécialiste), apprécie la psychanalyse, glisse des décasyllabes coquins parmi sa chronique des quelques jours plus ou moins houleux passés dans sa famille, ce qui accentue dans l’ensemble la distance avec les références bien peu consistantes de notre temps.
Or le dialogue n’est pas rompu avec les nouvelles générations, tout comme il a pu s’ouvrir lui-même à l’ancienne, celle du grand-oncle. En témoigne cette relation de connivence qui s’ébauche avec une nymphette, camarade de la nièce, attirée par le feu comme un papillon et elle-même rédactrice d’un journal intime, qu’il parcourt incidemment… Un secret de famille est aussi révélé, qui justifie des comportements antérieurs et sans doute le destin problématique du protagoniste. Bref, ce détour au présent par le passé, loin de la vie parisienne, qu’il retrouve en toute fin, n’aura pas été inutile. Il est synonyme de prise de conscience, de nouveau départ. Car le précédent était faux… Au bout du compte, on peut parler de roman familial. Mais moins œdipien qu’ « électrique » (en référence à Electre) vu les rapports tendus qu’il entretient avec sa sœur, procureuse de son œuvre, car notre enseignant a publié bon nombre de livres sulfureux de son cru. Au reste, les nymphettes, dans celui-ci, n’y semblent point indifférentes… Off course. Pour le narrateur, c’est une autre histoire, qui s’amorce quand la dernière page de celle-ci est tournée…
BTN
Editions Tinbad