Le musée de Sérignan, sensiblement agrandi, permet à présent une répartition généreuse de l’espace en plusieurs compartiments bien délimités : l’un, la Pergola, est dévolu aux collections permanentes d’acquisitions, constamment enrichies, au fur des expositions et des dons : Parmi des stars internationales (Büttner, Kusnir, Raetz…) et nationales (Buren, Dolla, Grasso, Marcel, Morellet, Pagès, Traquandi…), on y croise nos Abdelkader Benchamma, David Bioulès, Philippe Jacq, Stéphanie Majoral, Raphaël Zarka et même Tania Mouraud, exposée récemment à La Mouche, toute proche). Un second, plus modeste, est réservé au cabinet d’estampes et autres œuvres sur papier (dont une remarquable série de Roland Flexner). Mais c’est le rez de chaussée qui se paie la meilleure part du gâteau, avec l’installation de l’artiste d’origine africaine, vivant en Angleterre, Lubaina Himid. Sa double culture se lit dans ses œuvres dans un esprit à la fois revendicatif et fructueux. Cela se ressent au mieux dans ces moules en céramique dont se servent les anglais, peints à l’africaine, et proposés en tant que potentiels monuments d’une grande ville anglaise. Mais Lubaina Himid s’est surtout attaquée au caractère spacieux du lieu en disposant des figurines à taille humaine et en bois, semblant en représentation afin de mieux nous montrer leur intégration à la culture britannique qui les représente par ailleurs si peu. Il s’agit d’artistes ou d’artisans qui nous invitent à la fête du métissage et de la participation à une création commune. De ce point de vue, l’artiste se réapproprie une œuvre majeure de Picasso, deux femmes courant sur la plage, mais en leur ajoutant la négritude dont elle s’honore, et des éléments hors cadre. Ailleurs, sur les murs, de petits formats assez décoratifs s’inspirent de l’acte de solidarité d’ouvriers de Manchester opposés à l’esclavage au 19ème siècle. Une autre série recourt comme supports à des journaux, rehaussés, montrant la manière dont sont présentés à la une les hommes noirs. Une série de lattes de bois, disposés en dégradé, et décorée, renvoie aussi bien au commerce triangulaire, à l’hégémonie nautique des anglais qu’à la cause des migrants. Enfin, l’artiste expose des toiles ou acrylique sur papier présentant des scènes historiques de manière personnalisée et fantastique mais aussi des individus conquérants, peints en pied ou plan moyen, sur fond plat.
A l’étage, la complainte du progrès, comme eût dit Boris Vian. On y repère des œuvres décisives du pop art (le Coca cola, de Warhol, un monumental Wesselmann), des affichistes (Rotella et Villeglé voire Hains, avec une photo du sigle Citroën), du nouveau réalisme (poubelle d’Arman) et pas mal d’artiste qui se sont imposés sur le marché international (la mousse polyester de Fischli et Weiss, les scénettes vidéo sous cloche de Lynn Hersham Leeson) ou national (la photo mannequin de Valérie Belin, les moniteurs plasma de Claude Closky, les apparitions télévisées de Mathieu Laurette, l’impressionnante série de frigos constellés de miroirs de Kader Attia), depuis les années 90. On retrouve avec émotion les portées publicitaires et métalliques de Richard Baquié (Le temps de Rien) et on découvre à la fois les sept sculptures en caoutchouc incrustés d’objets trouvés par un indien, dont c’est le travail, dans la rivière polluée de Yamuna, en Indes, de François Daireaux et la vidéo qui montre le prospecteur en pleine action. Camille Henrot se moque de notre dépendance aux outils technologiques qui envahissent notre vie. On a aussi des œuvres d’artistes plus jeunes et donc plusieurs générations successives composent cette palette : Camille Blatrix (faux distributeur de billets), les compositions florales sursaturées de Sara Cwynar. L’expo se termine par l’inondation d’un faux Mac Donald, du groupe danois Superflex. D’autres œuvres frappent l’attention, le spee (dy) du marseillais Jean Baptiste Sauvage, qui longe le mur, les ordures superbes photographiées par Lucie Stahl, les masques d’emballages de Judith Hopf, la tour de Justin Liberman… de sorte que l’expo atteint son but, nous sensibiliser à notre rapport contemporain aux choses (comme disait Pérec) et à la manière dont elles agissent et interagissent sur notre vision du monde.
Enfin, dernière pièce, un peu isolée, Io Burgard nous plonge, dans la salle qui lui a été réservée, dans une installation mi-graphique et murale, mi-spatiale, à la recherche d’une bête de la jungle, absente, empruntée à Henry James. Il s’agit d’un parcours avec ses différentes stations dans un décor blanchâtre de résine ou de plâtre, en lequel nous sommes physiquement impliqués, comme si nous pénétrions l’intérieur d’un dessin mural. Cinq bonnes raisons donc de visiter le Mrac sous ses diverses facettes. Encore n’ai-je rien dit de l’extérieur et de ses Bruno Peinado.
Peinado que l’on retrouve, jusqu’au 6 mai, à la Médiathèque André Malraux, de Béziers (Tél: 04 99 41 05 50), avec ses formes géométriques, jouxtant l’installation très hétéroclite de Soraya Rofir, une empreinte géante de Peter Stampfli et les images urbaines et glacées de Bernard Joisten. Comme quoi l’art contemporain existe aussi à Béziers. Ce n’est ni la Mouche, ni Dupré et Dupré, ni Sophie Julien qui me contrediront. BTN
Jusqu’au 16 septembre au Mrac de Sérignan. Tél. 04 67 32 33 05 – www.marc.laregion.fr
0 commentaires