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Festival Radio France Occitanie Montpellier : Entretien avec Frédérick Haas

9 Juil 2018 | Les interviews

30 ans après l’enregistrement de l’intégrale Scarlatti par Scott Ross, un projet complètement fou est annoncé au festival Radio France Occitanie Montpellier !
30 clavecinistes en 35 concerts dans 13 lieux différents où sera donnée l’intégrale des 555 sonates de Scarlatti…
Frédérick Haas, l’un des initiateurs de ce projet, a accepté de répondre en 13 questions…

Haas Frederick©Jean-Baptiste Millot

Interview de Frédérick Haas

Quelques questions concernant Domenico Scarlatti….

Ne pensez-vous pas que la musique de Scarlatti nous parle toujours, étant restée étonnamment moderne?
La qualité, l’inventivité exceptionnelles de la musique de Scarlatti la mettent au-delà des modes.

Domenico Scarlatti était-il finalement plus mathématicien que musicien  avec  une technique qui lui est propre (*) ?
Scarlatti explore l’instrument sans fin, sa technique musicale nous surprend sans cesse.

(*) Croisement de mains rapide, sans interruption d’un rythme puissant et régulier, de brefs arrêts, des improvisations glissées  au milieu de parties, symétriques ou asymétriques à l’équilibre subtil.   Des notes répétées à l’infini, de grands traits arpégés pour finalement revenir in extremis toujours aux premières notes, celles-là mêmes jouées au début…

Joueur de cartes invétéré, écrivant très régulièrement des sonates, Scarlatti aurait-il trouvé un bon moyen pour payer ses dettes de jeux ? (ce qui allait sans doute bien à son commanditaire)
Ou bien, est-il était tenu par un contrat, l’obligeant à livrer chaque mois une sonate différente ?
Nous savons très peu de choses précises. Mais il est certain que Scarlatti, au service d’une reine passionnée de musique disposait d’une très grande liberté d’expression. Il n’avait pas à se soumettre aux craintes de producteurs inquiets de ne pas voir revenir leur public : c’est ainsi qu’il a pu s’affranchir des modes de son temps.

Sur quel type de clavecin jouait Scarlatti ; a-t-on des précisions sur ce sujet ?
Toutes les sonates de Scarlatti peuvent-elles être jouées sur un seul et même clavecin ?
Cette question importante reste ouverte et assez mystérieuse. Des indices existent, mais aucune certitude ne permet de trancher entre des possibilités bien différentes. Plusieurs sonates demandent une étendue de clavier très rare. Un seul clavecin ancien conservé aujourd’hui permet de jouer toutes les sonates, mais il date de 1789, bien après la mort de Scarlatti. Les instruments modernes ayant cette étendue sont rares, c’était là un point important à considérer pour la réalisation de notre intégrale.
Nous ne savons pas si Scarlatti a connu des instruments à un, deux ou trois claviers, quelles étaient ses préférences, à quelle époque de sa vie il a eu accès à tel ou tel type de clavecin, ni si ces clavecins étaient espagnols, italiens, portugais, allemands, anglais, flamands ou français ! Cela amène les interprètes à devoir faire des choix qui vont fortement colorer l’esthétique sonore de leurs interprétations, ce qui s’avère en définitive une situation intéressante.

Pourquoi les sonates de Scarlatti sont-elles toujours écrites par paire, même parfois par trois.
Comment expliquez-vous ce couplage?
Il n’y a pas là de système. Certaines sonates en effet semblent avoir été conçues par paires. Mais nous ne connaissons pas les intentions de Scarlatti. Ce sont des formes courtes. Dans le cadre du concert moderne, l’interprète est nécessairement amené à créer des groupes de pièces. Les paires formées (ou non) par Scarlatti sont bien entendu de bonnes bases pour cela.

555 concerts Scarlatti donnés le temps du Festival Radio France Occitanie Montpellier, mais comment allez-vous faire cela….

Vous avez retenu 30 musiciens pour jouer en 30 concerts, les 555 sonates de Scarlatti…
Pouvez-vous nous les présenter ?
Avez-vous souhaité une certaine homogénéité de style en lien avec les enregistrements qui sont prévus ?
Chaque artiste, avec sa personnalité, ses goûts, son expérience, apportera une coloration, un accent, un style. Cette variété est ce qui va faire la grande richesse de notre nouvelle intégrale : la richesse même de la musique de Scarlatti va se trouver d’autant mieux révélée qu’elle va faire l’objet de propositions très diverses. Nous avons invité de grands et notables « scarlattiens » et ceux qui n’ont pas pu se joindre à nous, m’ont adressé des messages très touchants.
Des clavecinistes qui ont consacré leur carrière à l’exploration d’autres répertoires apporteront un éclairage très intéressant. Et puis, nous avons choisi de faire confiance à de nombreux jeunes interprètes, dont le public pourra à cette occasion découvrir les grands talents.

Comment les sonates ont été partagées  entre vous?
J’ai demandé aux clavecinistes de me faire parvenir deux listes :
L’une de sonates désirées (avec si possible une hiérarchie de choix), et l’autre de sonates non désirées.
La variété des goûts et des personnalités a fait que j’ai pu répartir les sonates en suivant, à au moins 80%, les premiers choix des musiciens et respecter strictement la liste des non-choix.
Seule une poignée de pièces, peut-être moins intéressantes, ont dû être distribuées sans être désirées : une trentaine… ce qui tombait assez bien.
Ce fut un fameux puzzle à résoudre : j’y ai passé une bonne partie de l’été 2017 !
Grâce à ce système, chaque interprète a en main un programme qu’il aime et qui lui ressemble. Je souhaite de tout cœur que grâce à cela, chaque claveciniste ayant pu faire de son programme sa chose personnelle, notre intégrale soit un ensemble de moments musicaux d’exception.

Il se dit que vous aurez le redoutable honneur de jouer les sonates les plus difficiles techniquement…
Et même, celles considérées comme les moins intéressantes ?
Non, je ne peux pas dire cela. Il est vrai que je me suis attribué plusieurs des pièces les plus difficiles, du genre  un peu injouables, dont personne ne voulait, et qu’il est assez redoutable de jouer dans un concert enregistré. Mais j’ai constitué mon programme à très peu d’exceptions près de pièces peu connues, qui n’avaient pas, ou très peu été demandées, et que je n’avais moi-même jamais jouées en public.

Mais qu’est-ce qui fait que les difficultés techniques puissent faire hésiter même les meilleurs ?
Vous savez, jouer du clavecin est extrêmement difficile. Tous ceux qui s’y sont essayés savent que c’est l’instrument avec lequel on fait le plus facilement des fausses notes. Alors jouer au clavecin des concerts enregistrés est toujours une chose qui demande beaucoup de préparation, et génère des inquiétudes. Si en plus certaines œuvres sont presque injouables, le défi devient vertigineux. Et Scarlatti, c’est aussi cela !
Trois cents ans plus tard, on se sent vivre très fortement, lorsqu’on passe des moments en public avec lui !

Il se murmure que vous auriez aussi le projet extraordinaire de donner au Château d’Assas, une sonate Pasticcio de votre composition…et que vous allez jouer aussi la sonate Pasticcio de Scott Ross (une K.556 en quelque sorte…). Ces informations sont-elles exactes ?
Ce n’est pas moi qui jouerai la sonate composée par Scott Ross
J’ai en effet promis d’en écrire une à mon tour. Mais c’est un gag. C’est pour s’amuser, et faire plaisir !
Ce n’est pas très sérieux. Ce sera un bis amusant et sympathique…une fois les micros fermés.
N.B : concert diffusé en direct à 20h sur France Musique !

Vous êtes un claveciniste réputé, chef d’orchestre, éditeur…journaliste….Tout cela vous donne une autorité, une expertise, une vista que vous aimez faire partager…

Remarqué par la critique, vous avez enregistré Biber, Soler, d’Anglebert, Couperin, Francoeur, Thomas-Louis Bourgeois (une rareté), Rameau et Bach bien sûr …puis ensuite Scarlatti.
Des cd qui  se doivent de figurer dans la discothèque de tous mélomanes !
Avec l’ensemble Ausonia (que vous dirigez), vous racontez d’ailleurs d’autres histoires en musique (2). Vous avez maintenant votre propre label Hitasura….
Cette expérience au disque vous permet-elle de donner de précieux conseils pour la prise de son et l’enregistrement ? A ce sujet, peut-on parler d’une esthétique de la prise de son ?
On peut certainement parler d’esthétique de prise de son. A chaque fois que j’enregistre un disque, je passe beaucoup de temps à soigner la prise de son avec des ingénieurs de grand talent. Une prise de son ratée est une vraie catastrophe. Il faut tenter de faire entendre tous les détails, mais aussi la beauté, le charme : une équation presque impossible à résoudre. Comme tout ce que nous faisons : tenter d’aller le plus loin possible, de marcher sur ce fil tendu qui nous expose à nos propres limites, et implique à chaque instant de vraies prises de risques. Et c’est alors que la musique peut devenir vivante, et toucher. C’est cela que l’on cherche. Une fois que la musique est devenue vivante et intense, elle devient un compagnon dont on ne peut plus se séparer.
Une addiction très bénéfique, si vous voulez.
(2) Que les mortels servent de modèles aux dieux » des airs extraits de Zoroastre et Zaïs de Rameau  -« Amans, voulez-vous être heureux… »De Francoeur. : Des Cd que tous les mélomanes devraient avoir dans leur discothèque !

Pouvez-vous nous parlez de votre projet radiophonique lui aussi complétement fou d’animer sur France Musique de minuit à 7h00 du matin, deux émissions les 13 au 14 juillet ou 22 au 23 juillet de minuit à 7h00 ?
Je me suis occupé de la nuit du 13 au 14 juillet, qui sera consacrée à Scott Ross.
Je suis profondément heureux d’avoir pu faire cela. J’ai immensément admiré Scott Ross, et ai toujours pensé que ce qu’il nous avait laissé de plus beau se trouvait conservé dans les archives de la radio, plus beau encore que les nombreux disques réalisés en fin de carrière, alors qu’il se savait malade. J’ai eu le plaisir d’écouter au moins une centaine d’heures d’enregistrements, dont certains sont absolument magnifiques. Cette émission va être l’occasion de découvrir des merveilles, parfois dans des répertoires inattendus. Je suis très heureux d’avoir pu apporter cette petite contribution à la mémoire de celui dont j’aime à penser qu’il fut le plus grand claveciniste de l’époque moderne.
La nuit du 22 au 23 juillet (jour anniversaire de la mort de Scarlatti), sur Scarlatti, a été réalisée par Martin Mirabel.

Vous allez donner aussi une conférence « Scarlatti aujourd’hui » au Musée Hyacinthe Rigaud de Perpignan le lundi 16 juillet, à 17h30. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur son contenu ?
Cette conférence sera-t-elle aussi enregistrée par Radio France, en vue d’une diffusion ultérieure ?
Je préfère en laisser la surprise à ceux qui viendront à Perpignan. Disons que je vais livrer mon témoignage de claveciniste qui a depuis beaucoup d’années consacré une grande partie de sa vie à vivre avec Scarlatti.
Je ne crois pas que cette conférence sera enregistrée. L’éphémère du contact direct est aussi une chose intéressante.

Propos recueillis par Michel Pavloff le 7 juillet 2018

Bon à savoir…
Ce grand projet s’est concrétisé grâce à une collaboration exemplaire (dont il a offert en quelque sorte l’opportunité idéale) entre non seulement France Musique et le festival de Radio France Occitanie Montpellier.
Les partenaires associés à ce projet sont:
Le Château d’Assas, le Château de La Réole et le Festival 31 notes d’été ; le Château de Bournazel et les Rencontres musicales de Conques ; le Musée Hyacinthe Rigaud, Palais de Justice et Théâtre municipal de Perpignan ; le Château d’Assier et le Théâtre de Saint-Céré dans le cadre du Festival de Saint-Céré ; l’Auditorium les deux Rhône à Fourques ;  le Château de Flamarens et le Festival Musique en chemin ; le Château d’Ampelle, le Festival Musique sur ciel à Cordes-sur-Ciel ;  le Festival Musiques des Lumières –Abbaye et école de Sorèze.
 
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