Un premier roman, c’est comme un premier amour, surtout s’il est fructueux, et c’est le cas dans les pages qui nous occupent puisque l’héroïne devient in extremis maman, malgré la mort qui rôde. Comme quoi naissance d’une enfant et engendrement d’un premier livre peuvent aller de pair. Le père justement favorise la fin plutôt heureuse de ce livre essentiellement féminin, sauvant l’honneur d’une gent masculine malmenée, à la fois brutale et si faible, brutale parce que faible au fond. Le livre est grosso modo construit en trois parties : la première, généalogique, nous dépayse en nous transportant au pays du soleil, où les cœurs sont à l’image de la terre brulée par le soleil, de pierre. On nous y raconte le tragique destin d’une rose du désert, morte en couches, victime de l’injustice coloniale. Ensuite, nous lisons le journal de sa fille, dont la bouleversante histoire nous est narrée à travers un journal intime. Dans les milieux ruraux de la France profonde, les mœurs ne sont pas, dans les années 60, eu-égard à l’émancipation féminine, plus évoluées qu’en Tunisie ou du côté des Sardes, d’où ce récit s’origine. L’écriture de Frédérique Mazon ne souffre pas de fausses notes. Elle est linéaire et souple, pas du tout dictée par la sécheresse de cœur ni celle des origines qu’on eût pu supposer. En revanche, elle recourt, à la manière des leitmotive musicaux, à l’éternel retour sur ses points de repère vitaux, et c’est sans doute là la vraie réussite du livre : ce ressassement perpétuel crée une atmosphère intimiste, crédible, à laquelle on se laisse prendre et qui finit par créer une relation privilégiée entre le lecteur et la protagoniste. Et l’auteure le sait si bien qu’elle envisage et interroge ce lecteur potentiel qui justifierait son entreprise, l’invitant à se glisser dans les arcanes de la création, à vérifier la zone poreuse qui va du réel à l’imaginaire. La dernière partie fait en effet de l’héroïne, temporairement narratrice, une jeune institutrice « française » qui découvre la littérature avant de trouver sa voie dans l’écriture, véritable outil d’émancipation. L’homme de sa vie, trop idéal pour exister vraiment, lui sert d’adjuvant, lui achète une machine si bien que le livre devient lui aussi, à l’instar du nouveau-né, l’enfant de l’amour. Lequel fut retrouvé sans avoir jamais été connu. Un livre fort donc, conjugué au féminin et dont la morale pourrait être : Par l’écriture, on peut si bien les pierres fendre. Et les cœurs donc, malgré la pudeur et le recul parfois ironique dont cette nouvelle romancière, enseignante elle-même, fait preuve. BTN
Cœur de pierre, de Frédérique Mazon, Editions 7 Ecrit.