Parler pointu
Tandis qu’il fait mijoter une gardiane de taureau sur un petit réchaud placé en coin de scène, encouragé par un chœur de cigales à fond les violons, Benjamin Tolozan accueille le public avec une tournée générale de pastis. Sympa. Quoi de mieux pour prendre langue puisque c’est de cela qu’il s’agit, en l’occurrence le parler occitan et ce qu’il en reste dans la bouche de ce Nîmois monté à Paris pour y devenir comédien. On porte un toast avec lui à la mémoire du grand-père, membre éminent d’une famille que le comédien va convoquer tout au long du spectacle, la mère, le frère, la belle-sœur et le pépé bien sûr. Seulement voilà, Benjamin est le seul à parler pointu, c’est-à-dire avec l’accent parisien, alors ça interpelle évidemment et puis on entrave que dalle à ce qu’il dit, pas plus qu’à son hommage à l’aïeul. En plus, c’est un bavard ce type, en deux temps trois mouvements, en totale complicité avec le musicien Brice Ormain et ses riffs rageurs, il vous explique le pourquoi et le comment de la langue occitane et des parlers régionaux persécutés au long des siècles par le pouvoir central. Du massacre des cathares et la croisade contre les albigeois en passant par les troubadours de langue d’oc, la cour des rois de France, les premiers membres de l’Académie Française, le Club des jacobins jusqu’aux castings d’aujourd’hui où tout accent est proscrit, le comédien tient tous les fils d’une histoire à la fois politique et intime où la malice le dispute à l’érudition : « Malgré moi, je porte des siècles de centralisation, d’hégémonie culturelle et linguistique. » Car Parler pointu tient parfois du traité d’anthropologie où se confondent le cours de l’histoire et celui d’une vie. Ça parle, ça parle, sur le ton d’un humour qui n’exclut jamais la réflexion sur l’identité et la culture, proche des thèses du sociologue Pierre Bourdieu qui a analysé les stratégies utilisées par les groupes dominants pour imposer dans la société leur manière de parler et la sujétion de ceux qui y consentent. C’est le sujet de Parler pointu où s’exprime, avec l’accent parfois, le talent de Benjamin Tolozan qui en fait tout une histoire, pas un drame, juste une irrésistible comédie.
Manufacture à 19h15 jusqu’au 21 juillet
Luis Armengol
Larmes de crocodile
« Ça chatouille, tu peux recommencer si tu veux… » Dans une demi-pénombre, on aperçoit juste leurs visages au début, un homme et une femme semblent découvrir pour la première fois leur anatomie, comme au commencement du monde. Avec une innocence qui n’exclut pas la curiosité. Par touchers successifs, ce drôle de duo aux allures d’Adam et Eve apprend ce qui distingue les genres féminin et masculin en même temps qu’il revisite l’histoire de la femme et de l’homme, leurs relations à partir de quelques dates clé dans l’histoire de l’humanité comme le droit de vote des femmes ou la loi sur le droit à la contraception entre autres. C’est subtil, drôle et émouvant, et c’est aussi éminemment politique avec une réflexion tranchante sur les constructions de genre. Mêlant musique, chant, danse et dessin, Larmes de crocodile de la compagnie Hors d’œuvre, Fanny Catel et Jean-Noël Françoise, déconstruit sans avoir l’air d’y toucher le patriarcat et toutes ses représentations avec une fantaisie et une créativité des plus convaincantes, sur un ton faussement badin qui provoque le rire comme forme supérieure de la critique.
Le 11 à 13h25 jusqu’au 21 juillet
L.A.
Zaï,zaï,zaï,zaï
Alors qu’il fait ses courses, un auteur de bande dessinée réalise qu’il n’a pas sa carte de fidélité sur lui. Un simple oubli qui entraîne pourtant des conséquences imprévisibles. Après une empoignade avec un vigile, le dessinateur parvient à s’enfuir, rapidement traqué par la police à laquelle il essaie d’échapper en faisant de l’auto-stop à travers la région. Les médias s’en mêlent, grossissant les faits, et l’incident se transforme alors en fait-divers qui met le pays en émoi. La population commence à se diviser en deux camps, les pour et les contre qui vont jusqu’à réclamer la peine de mort. Car on s’interroge sur la personnalité du fuyard et on se demande s’il pourrait éventuellement constituer une menace pour l’ensemble de la société et s’il ne faut pas s’en protéger de manière expéditive. Zaï,zaï,zaï,zaï est le titre d’un album de bd de Fabcaro, sorte de mise en abyme adaptée à la scène par la compagnie du Théâtre de l’Argument. Pas moins de huit comédiens nous font vivre en direct les péripéties de l’histoire du fugitif sous forme de fiction radiophonique, chacun planté devant un micro pour figurer tous les personnages : caissière, vigile, policiers, famille, voisins, etc. On pense évidemment à ces faits-divers spectaculaires relatés en direct par les télés américaines comme l’affaire OJ Simpson traqué par la police et les médias jusqu’à son arrestation devant les caméras. Aucun temps mort ici, le récit se déroule à une allure folle sans aucune distance critique. On enchaîne les situations dans ce studio en folie qui nous restitue le vertige de l’information prise au piège de la vitesse, sans aucun recul critique, et de la rumeur alimentée par des témoignages délirants. Charge féroce contre un univers médiatique totalitaire qui nous pend au nez, ce spectacle est également un moment de poilade généralisée, excellent exutoire aux peurs fantasmées de notre société.
Le 11 à 19h05 jusqu’au 21 juillet
L.A.
Malaise dans la civilisation
L’air hagard de touristes découvrant un environnement inconnu jusqu’alors, un groupe d’individus, deux femmes et deux hommes, arpente la scène de la Patinoire d’Avignon, lieu décentralisé de La Manufacture où l’on peut assister à des bons spectacles du Off à l’image de celui-ci. Malaise dans la civilisation, un titre emprunté à Freud aussi décalé que l’ensemble du spectacle, enchaîne les gags dans un registre clownesque qui joue sur les petits accidents ordinaires et leurs effets en cascade. Présente dans le Off au sein de la programmation « Le Québec à Avignon », la compagnie DLD enjambe allègrement le quatrième mur pour établir une complicité avec le public qu’elle entraîne dans un jeu où le comique et l’absurde flèchent le parcours. Le spectacle semble s’inventer sous nos yeux avec un sens de l’improvisation qui navigue entre rire et poésie.
Manufacture / La Patinoire à 16h10 jusqu’au 21 juillet
L.A.