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Avignon : Sélection Off 2024, Chronique 3

15 Juil 2024 | Festivals, Spectacles vivants, Théâtre, Vaucluse

La cabane de l’architecte

Dans le coin, du côté de la plage de Roquebrune-Cap-Martin, on l’appelle l’ancien, on ne sait pas trop ce qu’il fait, paraît qu’il est architecte et qu’il est célèbre. Plus tard, on qualifiera l’une de ses œuvres, la Cité Radieuse à Marseille, de « cité du fada ». Le Corbusier a laissé des traces dans la région, sous forme de plusieurs réalisations architecturales certes, mais aussi en raison des liens affectifs qu’il a noués avec une famille dont il prit le jeune fils sous son aile. Robertino, c’est de lui qu’il s’agit, est l’enfant d’un couple d’immigrés italiens installés à Roquebrune qui décident un jour d’ouvrir un petit restaurant, sorte de gargote où l’on ne choisit pas son menu, c’est le chef qui commande. Ce qui convient parfaitement au Corbusier installé avec sa femme et des amis dans une belle demeure à proximité. Jusqu’à ce qu’on l’en déloge et qu’il propose alors au restaurateur de construire une cabane, contiguë à son habitation, mesurant 3,66 mètres sur 3,66 m. Il dira par la suite :« J’ai un château sur la côte d’azur(…) c’est pour ma femme, c’est extravagant de confort et de gentillesse. » C’est à partir de là que la chance tend les bras à Robertino, encouragé par son mentor à suivre des études à Paris jusqu’à ouvrir un jour son propre cabinet, nourri des préceptes humanistes de Le Corbusier pour qui l’architecture était aussi, et avant tout, « Un fait d’art, un phénomène qui suscite l’émotion, au-delà des problèmes de construction. La construction sert à faire tenir, l’architecture à émouvoir. » Cela fera son style et sa notoriété, mais il eut aussi ses détracteurs qui voyaient en lui l’initiateur des architectures déshumanisées de la seconde moitié du XXème siècle.

L’auteure Louise Doutreligne a rencontré la plupart des acteurs de cette histoire réelle et elle en restitue l’essentiel dans une pièce à la scénographie impeccable, à l’image de l’élément central tout en volumes géométriques, servie par un quatuor d’acteurs épatants. On suit avec un plaisir et un intérêt permanent les rebondissements picaresques de l’itinéraire du jeune Robertino qui resta proche du couple jusqu’à la mort de Le Corbusier, dont  Malraux prononça l’oraison funèbre, survenue en 1965 par noyade consécutive à un malaise cardiaque, à quelques brasses du cabanon ascétique qu’il avait conçu. Le lendemain, un journal régional titra « Un château où séjourne l’architecte le plus mal logé de la côte. » Car au-delà des anecdotes que distille savoureusement ce spectacle, mis en scène avec une sobre élégance par Jean-Luc Paliès, il y a le récit d’une transmission avec ses hasards bienheureux et les intuitions opportunes de ceux qui savent saisir une main tendue.

Collège de la Salle à 13h30 jusqu’au 21 juillet.

Luis Armengol

L’ami du président

On le voit partout aux côtés des puissants, il est sur toutes les photos de cérémonies officielles tel une éminence grise ne sortant de l’ombre que pour prendre la lumière des flashes. Ce qui turlupine pas mal les services de sécurité de l’Etat sur les traces de cet inconnu qui semble pourtant avoir l’oreille et la poignée de mains des dirigeants du pays, ministres et président compris. Un pays où si l’habit ne fait pas le moine, la photo assure pourtant le « quart d’heure de célébrité » cher à Andy Warhol, pour peu qu’on sache bien se placer. Il est comme ça Léon Daim, simple relieur de son état : il court, il court les cérémonies officielles parce qu’il adore ça, sans chercher pour autant à en tirer quelque profit. Mais les autres ne l’entendent pas de cette oreille et lui attribuent une influence et un pouvoir qu’il n’a pas. Il est donc courtisé par des politiciens ou des personnalités importantes pour intervenir en leur faveur, finissant peu à peu par se prendre au jeu pour se lancer à son tour en politique. Cette comédie légère et divertissante est menée bon train par un ensemble de comédiens chevronnés dans un emploi taillé sur mesure qui fait la part belle aux personnalités d’acteurs réunis sur le plateau du théâtre des Gémeaux. Un spectacle qui n’en incite pas moins à la réflexion sur les jeux du pouvoir et ses réseaux d’influence aux mécanismes parfois aussi redoutables que dérisoires.

Théâtre des Gémeaux à 17h15 jusqu’au 21 juillet

L.A.

 

Le fossé

Etrange manège que celui de ces deux quidams en train de creuser un fossé sans que nul ne sache, pas même eux, la finalité de cette action. La compagnie du Théâtre du Balcon se réclame à la fois de Beckett, de Ionesco, d’Hergé,  des Shadocks ou bien encore de Sergio Leone auquel est empruntée cette réplique culte du Bon, la brute et le truand : «Tu vois, le monde se divise en deux catégories: ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses. » Comme pour nous rappeler que tout fait balle ici, les répliques s’enchaînent à cent à l’heure, on se confronte, on s’empoigne, on se malmène dans une pièce signée Jean-Baptiste Barbuscia et mise en scène par Serge Barbuscia, du fait maison donc. Les personnages sont aussi incongrus que poétiques, à l’image de cette jeune femme qui veut à tout prix qu’on rebouche le trou commencé pour des considérations écologiques ou existentielles – on ne sait plus trop et elle-même non plus d’ailleurs – nourrissant peu à peu la révolte de l’ouvrier chargé des travaux. L’occasion d’évoquer aussi les rapports sociaux, l’exploitation des uns et le cynisme des autres, les relents racistes et machistes, ceux qui ont le pouvoir et les autres qui exécutent. Sans tambours ni trompettes et sans claironner de vérité définitive, on s’approche du bord de ce Fossé en y observant la relation dominant-dominé, l’absurde ouvrant la porte la plupart du temps à une réflexion métaphysique et politique.

Théâtre du Balcon à 20h jusqu’au 21 juillet.

L.A.

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