La 78ᵉ édition du festival d’Avignon remporte un succès évident à mi-parcours par le nombre de spectateurs et la réussite de nombreux spectacles à l’affiche parmi lesquels 80 pour cent sont des créations où la prise de risque est conséquente.
À commencer par le Dämon el funeral de Bergman de l’Espagnole Angélica Liddell précédé d’un parfum de scandale comme à chacune de ses apparitions à Avignon. Cette fois-ci, le festival lui a ouvert toutes grandes les portes de la Cour d’Honneur pour accueillir sa dernière création et on sent d’emblée que ça va souffler fort, comme par temps de grand mistral lorsqu’il s’engouffre dans ces lieux. Entourée des comédiennes et comédiens du Royal Dramatic Théâtre de Suède, la performeuse invoque la figure de Bergman qui avait écrit le scénario de ses funérailles. En réglant au passage ses comptes avec la critique qu’elle cloue au pilori, prononçant sur scène le nom de ceux qui ont eu la mauvaise idée de malmener ses spectacles précédents. Un jeu de massacre tragi-comique, un peu comme dans une classe de primaire quand la maîtresse rend leurs copies aux mauvais élèves, mais qu’Angelica Lidell prend toutefois très au sérieux puisqu’elle ne cesse de répéter à longueur d’interview sa haine des journalistes qui osent critiquer ses œuvres. Et de rappeler au passage que Bergman faisait de même, en venant parfois aux mains avec les auteurs d’articles défavorables à ses œuvres. Malgré l’insuffisance ou la suffisance du propos qu’elle dépasse heureusement par une réflexion sur la mort et la déchéance des corps, Angélica Lidell témoigne dans cette Cour d’honneur, outre son infaillible énergie, de sa capacité à occuper un espace qui fiche la trouille même aux plus grands metteurs en scène, tout en confirmant l’impact visuel de ses créations. Pas de grandes trouvailles scéniques néanmoins dans ce Dämon où elle arpente la scène d’un bout à l’autre à demi-nue pendant deux heures en éructant imprécations et homélies vengeresses qui se perdent parfois dans la nuit avignonnaise.
Los dias afuera
Avec la même énergie mais cédant davantage à la tendresse plutôt qu’à une révolte qui serait bien compréhensible, on a préféré Los dias afuera de Lola Arias, metteuse en scène et réalisatrice argentine qui s’intéresse ici aux vies de six personnes transgenres anciennement détenues pour vol ou trafic de drogue à la prison pour femmes d’Ezeiza à Buenos Aires. Yoseli, Nacho, Estefania, Noelia, Carla et Paula racontent les circonstances qui ont conduit à leur incarcération, d’abord dans un face à face frontal avec le public où elles résument leur histoire et déclinent leur(s) identité(s) avant de revenir en détail sur les vicissitudes de leur trajectoire tout au long d’un spectacle qui prend vite des allures de comédie musicale. Pas de fiction ici, on est avec des « vrais » gens dont l’assurance et le jeu d’acteur sont tout simplement bluffants même si c’est leur premier spectacle. Elles et ils se livrent et se délivrent en jouant leur propre rôle, en dansant la cumbia et en faisant de Los dias afuera (les jours dehors) un happening permanent et une véritable fête sur fond de musique rock et latine. Leurs vies défilent, un peu comme dans le rétroviseur de la voiture qui est sur scène et dans laquelle elles se serrent pour se raconter, ce qui donne parfois au spectacle des allures de road movie. Le public en redemande, tape dans ses mains, touché par l’énergie débordante des protagonistes et le rude itinéraire de ces vies cabossées, leur bel exemple de résistance au malheur. Un mot de résistance qui aura marqué cette édition 2024 coincée entre deux tours des législatives dont l’issue a été salué avec enthousiasme et soulagement par les milieux culturels réunis à Avignon.
Hécube, pas Hécube
Tragédie dans la tragédie, Hécube, pas Hécube met en scène l’histoire d’une comédienne, Nadia, qui répète la pièce d’Euripide Hécube dans laquelle elle interprète le rôle de cette reine de Troie assoiffée de vengeance après la mort de son fils tué par Polymnestor à qui il avait été confié. Nadia est aussi une femme et une mère qui demande justice pour les mauvais traitements subis par son fils autiste dans l’établissement où il est placé. Elle court d’un rendez-vous à l’autre, pressée d’écourter ses répétitions pour se rendre aux convocations d’un procureur, Denis Podalydès excellent dans ce rôle comme la plupart des pensionnaires de la Comédie française qui l’entourent dans la carrière de Boulbon. La mise en scène de Tiago Rodrigues souligne ce chevauchement permanent des deux histoires qui se recoupent, se rejoignent au point que l’une finit par se confondre avec l’autre dans cette quête d’une mère qui veut faire reconnaître le mal fait à son fils et obtenir réparation. Souvent poignant, parfois drôle, toujours magistralement interprété, Hécube, pas Hécube est une des belles réussites de ce festival d’Avignon.
- Los dias afuera. Jusqu’au 10 juillet à l’Opéra d’Avignon.
- Hécube, pas Hécube jusqu’au 16 juillet à la carrière de Boulbon.
Luis Armengol
Merci